L’entreprise pharmaceutique liégeoise Mithra dépose les comptes : la fin d’une mauvaise saga

François Fornieri (Photo: Belga Images)

A Liège, le conseil d’administration de la société de contraceptifs cotée en bourse Mithra a déposé les comptes. Entre-temps, des négociations sont en cours pour la vente de certains actifs de l’entreprise, dont son unité de production de médicaments, également située à Liège. Mithra a été créée il y a un quart de siècle par François Fornieri et a été décrite comme l’exemple même d’une entreprise pharmaceutique wallonne prospère, l’avenir de la Wallonie en d’autres termes. Mais Fornieri a été rattrapé par son propre succès liégeois. Lorsque, avec Stéphane Moreau, alors chef du PS liégeois, il a voulu démanteler les Nethys intercommunales en sa faveur, il se heurte à la résistance d’Elio Di Rupo, alors premier ministre wallon, ce qui entraîne la chute de Fornieri et, à terme, celle de la société Mithra. Le patrimoine de Fornieri, qui s’élevait à plus de 200 millions d’euros, est ainsi réduit à 4 millions d’euros.

François Fornieri, en collaboration avec le professeur Jean-Michel Foidart, a créé la société Mithra Pharmaceuticals en 1999 en tant que spin-off de l’Université de Liège. Dans un premier temps, la société cible les gynécologues avec une gamme de produits d’hygiène féminine et d’additifs alimentaires vendus sans ordonnance. Suivront le développement d’Estelle, une pilule contraceptive naturelle, et le développement de Donesta, un médicament utilisable contre les effets de la ménopause.



La cuisine coûte de l’argent et c’est certainement vrai dans le secteur pharmaceutique. L’investisseur pharmaceutique flamand Marc Coucke croit en l’avenir de Mithra et souscrit à un placement de capital de 40 millions d’euros chez Mithra. Avec d’autres investisseurs, dont l’entrepreneur en construction Bart Versluys, ce tour de table permettra de lever 55 millions d’euros. L’introduction en bourse de Mithra à la Bourse de Bruxelles aura lieu à l’été 2015. L’entreprise lèvera alors un peu moins de 80 millions d’euros. Ces fonds doivent servir à mettre définitivement sur le marché les produits Estelle et Donesta. Fornieri contrôle désormais 34 % de l’entreprise, Marc Coucke 17 %.

L’automne 2019 annonce une période de turbulences pour Fornieri. D’une part, il présentera de manière festive sa maison d’art « Maison Alexandre », nommée d’après son fils. Ce musée privé avec sa propre collection fera de Fornieri la star culturelle des notables liégeois. Mais d’un autre côté, il est ensuite visité dans son domicile privé par des enquêteurs du parquet de Liège. Cette action judiciaire s’inscrit dans le cadre de 21 perquisitions. Deux de ces visites moins agréables ont lieu aux domiciles privés de Stéphane Moreau et de François Fornieri. Le premier a été pendant des années l’homme fort de Nethys, soutenu en cela par les socialistes wallons du PS. Avec Fornieri, il a monté le projet de rachat de la société éolienne Elicio, filiale de Nethys, pour la somme symbolique de 2 (deux) euros. Jusqu’à ce que le nouveau premier ministre wallon Elio di Rupo mette un terme à ces projets. Et dépose immédiatement des plaintes contre les deux protagonistes. Cela n’empêchera pas Fornieri de racheter 50 % des actions du Standard de Liège, club de première division, à l’été 2020. Du moins, c’est ce qui était prévu. En effet, en novembre de la même année, on apprenait que cette opération était annulée. Fornieri n’a pas rejoint le Standard. Marc Coucke, quant à lui, avait déjà quitté la présidence de Mithra depuis un certain temps et réduisait discrètement sa participation dans l’entreprise.

En janvier 2021, le dossier Nethys s’emballe. Le 21 janvier, François Fornieri est arrêté, soupçonné de corruption et d’abus de biens sociaux. L’homme est ensuite placé en garde à vue et incarcéré à la prison de Lantin. Après six jours d’incarcération, il est libéré. À sa sortie de prison, il se rend directement à son entreprise pharmaceutique, Mithra, en compagnie de son assistant personnel, Birol Cokgezen, pour mettre de l’ordre dans ses affaires. Birol Cokgezen est un homme au passé politique remarquable. Pendant 15 ans, il a été le chauffeur privé du ministre PS Michel Daerden, connu pour sa politique volontariste et son habitude de boire en public. Mais la popularité de Daerden a rejailli sur Cokgezen, qui s’est retrouvé sur la liste PS locale de la commune liégeoise de Saint-Nicolas. Lorsque le bourgmestre de cette commune, Patrick Avril, a été condamné pour abus de biens sociaux en 2011, Cokgezen est devenu bourgmestre de la commune, à la surprise générale. Son mandat a été de courte durée, à peine 10 jours. Cokgezen a été écarté par les ennemis de Daerden au sein du PS. En échange, il a pu passer au conseil provincial de Liège et a obtenu la présidence d’une société de logement social. En 2018, il est écarté de la liste du PS pour les élections communales. Mais entre-temps, il avait été récupéré par François Fornieri comme secrétaire particulier.

À sa manière, Cokgezen est une extériorisation de l’éternelle lutte de pouvoir qui se joue dans les coulisses de la fédération du PS liégeois. Stéphane Moreau, soupçonné d’être le complice de Fornieri au sein de Nethys, a poussé son tuteur Michel Daerden hors du trône à Ans pour y devenir lui-même bourgmestre. L’assistante personnelle de l’abbé Daerden a été récupérée par Fornieri, qui était de connivence avec l’assassin politique de son protecteur. Pendant ce temps, Frédéric Daerden, fils de, s’échauffe dans les coulisses pour venger ce même assassinat politique de son père.

Dans cet imbroglio politique liégeois, Lucio, Luciano, Lucien D’Onofrio se sent parfaitement à l’aise. Agent de football controversé, ardent défenseur des intérêts francophones liégeois, ancien directeur du FC Anvers de son ami Paul Gheysens et également ami de François Fornieri. D’Onofrio est à l’aise sur de nombreux marchés. Avec l’entrepreneur liégeois de l’hôtellerie Samuel Di Giovani, il a créé Protection Unit, une société spécialisée dans les missions de sécurité qui rivalise avec les grands acteurs que sont Securitas et G4S. Protection Unit connaît une croissance spectaculaire. En peu de temps, elle emploie plus de 100 personnes, auxquelles s’ajoutent 200 agents de sécurité freelance qui peuvent être déployés pour des événements spéciaux. Parmi ces derniers, citons les missions de sécurité de l’entreprise sur le circuit de F1 de Francorchamps et dans le club de football Standard. François Fornieri est directeur de Protection Unit. Di Giovani est cité comme complice de Fornieri dans le montage de délits d’initiés autour de la société cotée en bourse Mithra, dont Fornieri est le principal actionnaire individuel avec 26 %. L’autre actionnaire de Mithra est Noshaq, avec 12%. Noshaq est le financier public liégeois, largement contrôlé par le PS.

En 2018, Mithra a lancé le médicament PeriNesta. Au cours du mois de décembre 2018, François Fornieri avait versé près de 900 000 euros à Samuel Di Giovanni, qui avait ainsi acheté des actions Mithra avant et après l’annonce du lancement du PeriNesta. Il a revendu ses actions en mars 2019, avec un bénéfice de moins de 10 000 euros. Sur ce dernier dossier, le tribunal a fait la lumière en 2024. Fornieri disposait-il d’informations privilégiées concernant le lancement du médicament PeriNesta ? Oui, selon le tribunal correctionnel de Liège. A-t-il transmis ces informations en tant qu’informations privilégiées à son ami Samuel Di Giovanni, fondateur de la société de sécurité Protection Unit, afin qu’il puisse acheter des actions Mithra avant que le cours de l’action ne s’envole ? Non, a estimé le même tribunal, qui a acquitté l’homme d’affaires liégeois du délit d’initié. François Fornieri n’a pas commenté le verdict, ce sont ses avocats qui l’ont fait. « A aucun moment François Fornieri n’a donné d’informations à qui que ce soit. Il connaît les règles du marché et les respecte. C’est d’ailleurs la première chose qu’il a dite aux enquêteurs il y a quatre ans. Aujourd’hui, le tribunal a estimé qu’il n’y avait pas de preuve de transmission d’informations privilégiées et nous étions toujours convaincus que ce dossier devait aboutir à un acquittement », a déclaré l’avocat Philippe Culot à l’issue de l’audience. François Fornieri risquait une peine de 18 mois de prison avec sursis, une amende de 60 000 euros, la confiscation de plus de 230 000 euros, une interdiction professionnelle de trois ans et le paiement de 40 000 euros de frais de justice. Il a été acquitté au bénéfice du doute, faute de preuves. L’enquête sur la corruption dans l’affaire Nethys est toujours en cours.